20

 

Dès qu’Emma se mit en route dans la brume, elle sentit qu’elle était suivie.

Lachlain lui avait donc bien envoyé des gardes. Quoique… Vu sa propension à se mêler de ce qui ne le regardait pas, il s’agissait sans doute davantage d’espions. Une femme indépendante, dotée d’un minimum de fierté, n’aurait sans doute pas apprécié une ingérence pareille. Quant à Emma… Si jamais Kinevane n’était pas aussi sûr que le lui avait affirmé son ravisseur et si les vampires attaquaient de nouveau, ma foi, c’était peut-être une bonne chose…

Elle passa un moment à explorer le parc, avant de découvrir une maisonnette luxueuse. Les fleurs sauvages qui l’entouraient s’étaient épanouies pendant la journée, mais avaient pris en se flétrissant quelque chose de lugubre.

L’endroit n’en était pas moins agréable, d’où on avait vue sur le lac… ou le loch… voilé de brume. Cela lui rappelait le manoir de Louisiane… plus ou moins.

Emma ferma les yeux à cette évocation. Que n’aurait-elle donné pour être de retour là-bas ! La veille, elle avait raté la soirée Xbox ; cette nuit, elle aurait dû faire du cheval dans le bayou…

Elle bondit sur la balustrade puis se mit à faire les cent pas, tournant sans fin autour de la maisonnette. Il lui était arrivé tellement de choses. Avant de partir en voyage, elle aspirait désespérément à une existence différente… mais à présent, elle s’apercevait qu’elle avait eu la belle vie. Elle s’était sentie seule, d’accord, elle avait regretté de ne pas avoir d’amant… mais maintenant qu’elle se trouvait chaque nuit confrontée à un mâle buté et autoritaire, qui de surcroît la retenait prisonnière, il lui semblait qu’un amant était une chose incroyablement surévaluée.

En Louisiane, il lui arrivait aussi de se sentir totalement étrangère à la maisonnée – elle ne savait pas quoi faire quand ses tantes crachaient sur les vampires, par exemple – mais c’était très rare. Les Valkyries ne se gênaient pas non plus pour la taquiner, mais si elle y réfléchissait une minute, elles taquinaient tout le monde. Myst, par exemple. Des années plus tôt, après l’histoire du général vampire, les autres l’avaient surnommée Mysty l’Allumeuse de vampires.

Comment fiait-on pour séparer Mysty d’un vampire ? On y va au pied-de-biche.

Cette pensée surprit tellement Emma que sa bouche s’entrouvrit. Ses tantes la traitaient peut-être différemment, admettons, mais pas en étrangère. Son insécurité avait-elle influencé la manière dont elle les voyait ? Cette fois, lorsqu’elle évoqua le jour où on lui avait brûlé la main, la scène lui apparut sous un jour différent. Au moment où elle en avait retrouvé le souvenir, il l’avait blessée, bouleversée. À présent, elle y découvrait deux détails importants. Regina s’était jetée sur elle, tremblante à l’idée de ce qui avait failli se passer. Et Furie avait dit qu’Emma était comme elles toutes.

Elle sentit ses lèvres se retrousser. Furie l’avait dit. Leur reine.

L’excitation l’envahit. Elle avait hâte de rentrer chez elle, pour regarder sa maisonnée avec des yeux neufs. Elle mourait d’envie d’apprécier à sa juste valeur tout ce qu’elle avait tenu pour acquis – ou dont elle n’avait même pas eu conscience. Il lui tardait de s’endormir environnée des bruits rassurants des insectes du bayou et des cris de sa famille. De se coucher dans ses propres couvertures, entassées sous le lit immense de sa chambre… pas dans le lit massif de Lachlain. Il lui semblait que les symboles qui y étaient gravés racontaient une antique histoire, où elle avait un rôle à jouer – Freyja l’en garde…

À un moment, en tournant autour d’une colonne, elle se planta une grosse écharde dans la paume. Quelques jours plus tôt, elle aurait poussé un cri de douleur. Là, elle se contenta de soupirer. Tout est relatif. Quand on s’était fait labourer la poitrine comme un carré de légumes, qu’est-ce que c’était qu’une écharde ? Un petit ennui de rien du tout…

La tête inclinée de côté, elle contempla l’éclat de bois. Ses sourcils se froncèrent, tandis que les souvenirs l’envahissaient. Elle avait de nouveau rêvé de Lachlain, aujourd’hui.

Dans son sommeil, elle avait revu leur dernier… intermède sexuel, de son point de vue à lui.

Les yeux fixés sur le mince filet de sang qui entourait le bout de bois, elle se laissa emporter par le rêve. Les échardes de la tête de lit s’enfonçaient dans les paumes de ses grandes mains, qui la réduisaient en miettes. Peu lui importait la douleur. Il fallait qu’il laisse les mains où elles étaient. Il le fallait.

Le besoin ardent de caresser Emma luttait en lui contre l’envie de gagner sa confiance. Il mourait d’envie de la toucher… le désir croissait, le poussait à se coller à elle…

Il rejetait la tête en arrière en se retenant de toutes ses forces de jouir.

Mais la longue chevelure d’Emma coulait sur lui, les hanches d’Emma allaient et venaient sur lui, ses seins se pressaient contre lui. Il la sentait boire avidement à son cou. Ce n’était plus possible…

Elle vacilla en échappant brusquement à la vision. Cligna des paupières.

Il s’était conduit en homme d’honneur. Il avait tenu parole, malgré les assauts du désir. Elle aurait voulu retourner à cette nuit-là et lui donner ce dont il avait si désespérément besoin, mais elle ne le pouvait pas ; ce n’était qu’un rêve. Ou un souvenir. Lorsqu’elle tomba de la balustrade, l’instinct la fit atterrir accroupie, mais elle s’effondra aussitôt par terre.

Il y avait eu aussi le rêve du collier…

Elle devenait folle. À la manière de Nïx, qui voyait des choses qu’elle n’aurait pas dû voir.

Qu’est-ce que tu m’as fait, Lachlain ?

Assise dans l’herbe humide, en terre étrangère, Emma n’avait personne à qui confier ses interrogations.

 

 

À l’aube, elle n’était toujours pas de retour dans leur chambre.

Les gardes l’avaient vue rentrer au château, ils avaient apposé les sceaux protecteurs adéquats sur les issues de la bâtisse, mais Lachlain dut mener une heure de recherches frénétiques avant de la trouver recroquevillée sous un escalier, endormie dans un placard à balais. S’était-elle doutée que les détergents et les produits d’entretien couvriraient son odeur ?

Il grinça des dents en la regardant roulée en boule, tremblante, couverte de poussière. L’inquiétude qui le taraudait se mua instantanément en colère.

— Nom de Dieu, Emma ! s’exclama-t-il en la soulevant dans ses bras.

À quoi pensait-elle en faisant une chose pareille ? Il allait lui fixer des règles, et elle aurait intérêt à…

Le soleil envahit le vestibule. Lachlain se réfugia dans un coin, couvrant son fardeau de son corps.

— La porte !

— Toutes mes excuses, lança derrière lui une voix traînante familière, tandis que la porte se refermait. Je ne savais pas qu’il y avait des vampires parmi nous. Tu devrais mettre une pancarte.

Dans la pénombre revenue, il se tourna vers Bowen, son plus vieil ami. La joie que lui inspiraient les retrouvailles s’affaiblit, quand il constata d’un coup d’œil que le visiteur avait perdu énormément de poids. Lui qui pouvait autrefois se targuer de posséder la même carrure que son suzerain avait beaucoup maigri.

— J’étais déjà surpris de te voir sain et sauf… mais on dirait qu’il y a encore plus surprenant ! (Bowen s’approcha pour examiner fort impoliment Emma, toujours endormie, lui souleva les cheveux puis lui tapota le menton.) Ravissante… mais pas très propre, si je puis me permettre.

— Ce matin, elle s’est couchée sous l’escalier. (Lachlain secoua la tête.) Enfin… je te présente Emmaline Troie. Ta reine.

Bowen haussa le sourcil, trahissant l’émotion la plus vive que son ami lui ait vue depuis que son âme sœur l’avait quitté.

— Une reine vampire ? Le destin est vraiment contre toi. (Il poursuivit son examen, sous le regard mécontent de Lachlain.) Et aux oreilles pointues ?

— Elle est à moitié valkyrie. Ses tantes l’ont élevée dans leur maisonnée, à l’écart de la Horde.

— Ma foi, on dirait qu’il se passe des choses intéressantes, dans le coin.

Bowen n’avait pourtant pas l’air tellement intéressé.

Emma, frissonnant, enfouit le visage contre la poitrine de Lachlain.

— Je crois que je ne t’ai jamais vu aussi épuisé, reprit l’arrivant en le soumettant lui aussi à un regard scrutateur. Va faire couler un bain à ta petite… elfe, et mets-toi au lit. Moi, je vais me prendre un whisky.

Il n’était pas huit heures du matin…

 

 

Dans l’après-midi, Bowen en arriva à la conclusion que son roi était devenu fou.

Il se versa un scotch, un de plus, qu’il sirota en réfléchissant. Bon, il aurait dû être le dernier des lycanthropes à douter d’un frère persuadé d’avoir trouvé l’âme sœur, mais cela, c’était tout simplement trop tiré par les cheveux. Lachlain voulait faire sa reine d’une vampire – enfin, d’une métisse – alors qu’il n’existait pas pires ennemis que vampires et Lycae…

Où qu’il ait passé les cent cinquante dernières années, le séjour lui avait visiblement fait perdre l’esprit…

Bowen releva la tête, tiré de ses pensées par les odeurs qui s’échappaient de la cuisine. Les serviteurs anticipaient la pleine lune en faisant le grand ménage et en préparant toutes sortes de délices avant de quitter le château. Les fours dégageaient exactement les arômes de son enfance. À vrai dire, la cuisine avait toujours été sa pièce préférée. Ses sourcils se froncèrent, tandis qu’il cherchait à se rappeler quand il avait mangé pour la dernière fois. Peut-être devrait-il réquisitionner la part de la vampire. Après tout, elle n’en avait pas besoin…

Lorsque enfin Lachlain arriva dans son bureau, il considéra Bowen d’un air réprobateur.

— Mon Dieu, ne me dis pas que tu bois depuis ce matin ?

— Que veux-tu que j’y fasse ? Il y à toujours eu à Kinevane le meilleur des whiskys.

Le visiteur servit d’autorité un verre bien tassé au maître des lieux, qui le prit puis se laissa tomber dans son fauteuil. Il semblait encore plus épuisé qu’à l’aube. Pourtant, vu ses vêtements froissés, on aurait juré qu’il se réveillait tout juste. Il avait aussi le cou éraflé… Non, ce n’est pas possible… À la réflexion, Bowen poussa le carafon vers son hôte. Lequel arqua le sourcil.

— Il me semble que tu vas en avoir besoin, quand tu vas m’expliquer où tu étais passé et pourquoi on n’a pas réussi à te mettre la main dessus pendant des dizaines et des dizaines d’années.

Le visiteur s’aperçut avec étonnement qu’une note de colère s’était glissée dans sa voix, comme s’il reprochait à son ami d’avoir disparu.

— Vous ne m’auriez jamais trouvé. Pas plus que je n’ai trouvé Heath.

Lachlain s’était exprimé du ton froid qu’il employait toujours pour parler de son plus jeune frère.

Bowen secoua la tête au souvenir de Heath. Il était tellement coléreux qu’il avait décidé de partir venger son père, sans comprendre que ceux qui se mettaient en tête de tuer Demestriu disparaissaient à jamais.

— Tu étais à Helvita ?

— Un moment, oui.

— Tu ne l’as pas vu ?

L’expression de Lachlain était éloquente : pure souffrance.

— La Horde… ne l’a pas pris vivant.

— Je suis désolé. Vraiment. (Un long silence suivit, que Bowen rompit enfin, les sourcils froncés.) Tu as dit « un moment »…

— Par la suite, Demestriu a préféré me faire emprisonner dans les Catacombes.

— Les Catacombes ?

On racontait parmi les créatures du Mythos que les vampires disposaient dans les profondeurs de Paris d’un feu éternel, qu’ils entretenaient afin de torturer les immortels capables de survivre à sa brûlure sans fin. L’estomac de Bowen se noua.

Comme Lachlain ne répondait pas, mais sirotait son whisky, il s’enquit :

— C’est vrai, pour le feu ? Combien de temps ?

— Le cachot, une décennie. Après… le feu.

Bowen vida son verre cul sec, puis se saisit du carafon.

— Comment se fait-il que tu n’aies pas perdu l’esprit, nom de Dieu ?

— Tu n’as jamais mâché tes mots. (Lachlain se pencha en avant, les traits crispés.) Je l’avais perdu, quand je me suis échappé. J’enchaînais les crises de rage, je détruisais tout ce qui m’étonnait… je n’avais que de rares instants de lucidité. Lorsque j’ai fini par trouver Emma, j’en étais encore à essayer de venir à bout de la folie.

— Comment as-tu fait pour t’échapper ?

Lachlain hésita, avant de remonter sa jambe de pantalon.

Bowen se pencha pour regarder sa jambe, puis exhala un sifflement.

— Tu as été amputé ?

Lachlain fit redescendre le tissu d’une chiquenaude.

— Je n’avais pas beaucoup de temps. Les flammes s’étaient calmées, et je la sentais, elle, à la surface. (Il reprit son verre pour s’octroyer une lampée de whisky.) J’avais peur de la perdre, après tout ce temps.

— Tu t’es… coupé la jambe ?

— Oui.

Il était sur le point de réduire son verre en miettes dans son poing. Bowen s’en aperçut et changea de sujet.

— Comment ça se passe avec elle ?

— Au début, elle était terrorisée. Je perdais sans arrêt la maîtrise de moi-même. Mais ç’aurait sans doute été encore pire si elle n’avait pas été là. À mon avis, je ne m’en serais tout simplement jamais remis. Elle m’apaise, et elle occupe tellement mes pensées que je n’ai pas le temps de m’attarder sur le passé.

La belle calme donc la bête ? songea Bowen.

— Et où l’as-tu trouvée, ton Emmaline Troie, toi qui l’avais cherchée si longtemps ? Où se cachait ta jolie petite reine ?

— Elle n’a que soixante-dix ans.

Le front de Bowen se plissa.

— Si jeune… A-t-elle comblé tes espoirs ?

— Elle a fait bien davantage. (Lachlain se passa la main dans les cheveux.) Jamais je n’aurais imaginé une âme sœur pareille. Elle est très intelligente, avec un esprit si subtil, si complexe que je n’aurai pas trop de l’éternité pour en faire le tour. Et puis elle est tellement belle, tellement secrète… ça, c’est carrément frustrant… tellement différente des autres femmes. (Il but une gorgée de whisky, qu’il apprécia réellement, cette fois-ci.) Plus je m’habitue à son accent, plus j’admire son sens de la repartie.

Ses lèvres s’étirèrent sans qu’il en ait conscience, au souvenir d’une réplique malicieuse de sa bien-aimée. Lorsque son regard se reposa sur son interlocuteur, il ajouta :

— Je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait de l’humour, mais j’en suis enchanté.

Quelque chose d’extraordinaire était à l’œuvre, car jamais, autrement, il n’aurait ébauché un sourire si peu de temps après avoir évoqué les tortures dont il avait été victime. Bowen en était arrivé un peu plus tôt à la conclusion que son ami nageait en plein délire, mais il venait de changer d’avis. Lachlain était fou, oui… de cette Emmaline. De toute évidence, elle était sienne.

— Comment vas-tu faire en pratique, pour la vie commune ? Son rythme circadien et son alimentation sont très importants.

— Elle boit à mes veines. Elle n’avait jamais bu à un autre être vivant.

Malgré l’éraflure qu’il avait remarquée, le visiteur ne put que s’étonner.

— Tu veux dire qu’elle ne tue pas ?

— Jamais, répliqua fièrement Lachlain. Je me posais des questions, moi aussi, mais elle est très douce… elle ne ferait pas de mal à une mouche. Il a fallu que je l’oblige à prendre mon sang.

— Voilà pourquoi ta jambe ne guérit pas aussi vite qu’elle le devrait.

— Ce n’est pas cher payer.

— Et que se passe-t-il, quand elle boit ? (Bowen enchaîna, sans laisser à son interlocuteur le temps de répondre.) L’expression que tu essaies de me dissimuler est révélatrice.

Seigneur. Lachlain aimait cela.

— C’est extrêmement… agréable, mais surtout, je crois que ça nous lie l’un à l’autre. Ça nous unit. De mon côté, en tout cas… Je me demande si maintenant, je n’ai pas encore plus besoin qu’elle.

Fou d’elle. Vampire ou non, Bowen enviait Lachlain.

— Et comment une aussi jeune immortelle affronte-t-elle le destin qui a fait d’elle ta reine ?

— Elle ne le sait pas encore.

Devant l’expression du visiteur, Lachlain continua :

— Et elle le prendrait mal. Je te l’ai dit tout à l’heure, j’étais… je ne l’ai pas traitée avec le respect qui lui est dû. Je n’ai même pas fait l’effort de dissimuler les sentiments que m’inspirait sa nature de vampire. Tout ce qu’elle veut, c’est rentrer chez elle, et je ne peux vraiment pas le lui reprocher.

— Je me demandais aussi pourquoi tu ne l’avais pas marquée. Nous vivons une époque dangereuse.

— Je sais. Crois-moi, je sais. J’ai passé des siècles à m’imaginer en train de dorloter mon âme sœur, mais finalement, j’ai fait de sa vie un enfer.

— Alors pourquoi lui en voulais-tu, ce matin ?

— Je me suis énervé parce que j’étais inquiet. Maintenant, ça va, j’ai repris mon calme.

Bowen plissa les yeux.

— Tu ne l’as pas faite tienne. Tu risques de la perdre…

— C’est ce qui s’est passé avec Mariah ?

Lachlain savait qu’il n’aurait pas dû évoquer Mariah : la promise de son ami d’enfance, une elfe, était morte en cherchant à lui échapper. Bowen lui jeta un regard terrible, et il ajouta :

— Je sais que tu n’as aucune envie d’en parler, mais dans mon cas, y a-t-il quelque chose de particulier à savoir ?

— Oui. Ton Emma est différente, et elle le restera. Ne te bute pas ; ne sois pas stupide ; n’essaie pas de l’obliger à nous imiter… ou alors, ton histoire se terminera comme la mienne, conclut Bowen tout bas. (Lachlain ouvrit la bouche, hésita.) Oui ? Vas-y, ça ne me dérange pas que tu me poses des questions.

— Comment peux-tu ? Comment peux-tu continuer à vivre, si longtemps après ? Maintenant que je comprends vraiment ce que tu as perdu, je ne crois pas que je pourrais.

Le visiteur arqua le sourcil.

— Moi, je ne crois pas que je supporterais que la chair me cuise sur les os en permanence, pendant des dizaines et des dizaines d’années, sans devenir fou à lier. (Il haussa les épaules.) Nous avons tous nos petits problèmes.

Il n’y avait cependant pas de comparaison possible, ils le savaient tous les deux. Bowen serait allé en enfer avec plaisir, s’il avait eu une chance d’y retrouver Mariah.

— Tu crois qu’elle… (Lachlain s’interrompit, les sourcils froncés.) Tu étais là quand elle est morte ?

Son ami se détourna, livide.

— Je l’ai… enterrée de mes mains, murmura-t-il d’une voix quasi inaudible.

Elle était bel et bien morte, il le savait, mais il savait aussi que le Mythos avait un côté imprévisible, car les lois qui le régissaient étaient dans une certaine mesure fluctuantes. Il passait à présent sa vie à chercher un moyen de ramener Mariah.

Que lui restait-il d’autre ?

Lachlain l’examinait avec attention.

— Rien ni personne ne peut la ramener.

— Nul n’échappe à la Horde, riposta Bowen. Un Lycae ne peut avoir une promise vampire. Une métisse valkyrie-vampire, ça n’existe pas. Je ne vois pas ce qui te permet de distinguer le possible de l’impossible…

Son hôte ne lui répondit pas, visiblement persuadé qu’il s’illusionnait – mais se demandant sans doute s’il fallait le lui dire.

— Tu as raison, acquiesça-t-il enfin, à la grande surprise de Bowen. Il arrive des choses tellement bizarres. Si tu m’avais dit il y a deux semaines que mon âme sœur était une vampire, je t’aurais traité de malade.

— Exactement. Alors ne t’occupe pas de moi. Tu as assez de pain sur la planche. Hermann m’a raconté que tu avais été attaqué par trois vampires, la nuit dernière ?

— Oui, mais ces temps-ci, la Horde s’en prend aux Valkyries du monde entier. Je me demande si elle n’est pas à la recherche d’Emma.

— Peut-être. C’est la première femelle vampire dont j’ai entendu parler depuis des siècles.

— Raison de plus pour détruire la Horde. Il est hors de question qu’elle s’empare de ma promise.

— Tu as des projets ?

— Je retrouverai sans problème les Catacombes. Nous y tendrons une embuscade en attendant le retour des gardes, et nous les obligerons à nous révéler où se trouve Helvita.

— Nous avons déjà torturé des vampires sans jamais réussir à leur arracher l’information.

Une expression meurtrière figea les traits de Lachlain.

— Ils m’ont beaucoup appris sur la torture.

Ses blessures extérieures guérissaient, mais ses souffrances intérieures subsistaient. Il avait raison : s’il n’avait pas trouvé son âme sœur à ce moment-là… Alors que lui arriverait-il, quand il la quitterait dans l’espoir de se venger ?

— Tu es prêt pour la guerre ? ajouta-t-il.

Bowen lui jeta un coup d’œil ennuyé.

— Évidemment. Comme toujours. Mais je m’étonne que tu sois si pressé. Tu as vraiment envie de te séparer de ta promise ?

— Je n’ai guère de temps à consacrer au passé, je te l’ai dit, mais lorsque je l’aurai faite mienne et convaincue de vivre avec moi, il faudra bien que je me mette en quête de vengeance.

— Je comprends.

— Je n’en suis pas sûr. Chaque jour de cet enfer, je me jurais de me venger. Je ne puis oublier des serments pareils.

Le verre de Lachlain vola en éclats dans sa main. Il baissa les yeux vers les débris luisants, avant de conclure d’une voix rauque :

— Il ne me restait rien d’autre.

— Tu sais pertinemment que je me battrai à ton côté. Garreth et les autres aussi. Ils en seront ravis. Mais je ne crois pas que nous puissions vaincre. Du moment qu’ils glissent, peu importe que nous soyons plus forts et plus nombreux. Nous sommes condamnés à perdre.

— Nous sommes plus nombreux ?

— Oh, oui, nous sommes des centaines de milliers, maintenant.

Devant l’incrédulité de son interlocuteur, Bowen poursuivit :

— Le clan a pu prendre ses aises, loin de la Horde. Nous en sommes revenus aux traditions, avec des familles de sept ou huit enfants… parfois même dix. Le seul problème de l’Amérique, c’est qu’il s’y trouve deux maisonnées de Valkyries. (Il eut un sourire exagéré.) Or tes parentes par alliance ont un sens aigu du territoire…

— Inutile de me le rappeler, riposta Lachlain, maussade.

— À propos, si moi, qui ai une vie sociale limitée, j’ai entendu dire qu’il se passait des choses au château, je ne doute pas que d’autres soient également au courant. Le temps va te manquer. Tu ne pourrais pas faire du charme à la demoiselle, par hasard ?

— Il y a deux nuits, je… j’ai failli l’étrangler dans mon sommeil, admit-il d’un air sombre.

Bowen fit la grimace, autant à l’évocation de l’incident que devant la honte palpable de son ami. Lequel précisa :

— Et puis, quand les vampires ont attaqué, je me suis transformé.

— Mon Dieu. Quel effet ça lui a fait ?

— Elle a eu une peur bleue, évidemment. Maintenant, elle se méfie encore plus de moi.

Lachlain se frotta la nuque.

— Tu pourrais lui raconter ce qui t’est arrivé… suggéra Bowen.

— Jamais de la vie. Elle parviendra à m’aimer, j’en suis sûr, j’ai besoin d’y croire. Et là, ça lui ferait trop mal de savoir ce que j’ai enduré. Non, il me faut juste un peu de temps. Si seulement je pouvais accélérer l’évolution de ses sentiments…

Le visiteur vida son verre, puis en contempla le fond.

— Tu n’as qu’à la saouler. Les humains se servent souvent de ce moyen-là. Ça affaiblit les inhibitions – momentanément, en tout cas…

Lachlain faillit s’amuser de la suggestion, avant de s’apercevoir qu’elle était parfaitement sérieuse.

Il secoua la tête.

— Non. Pas tant qu’il me reste une chance.

Il jetait à présent des coups d’œil répétés vers la fenêtre, sans doute conscient que le crépuscule approchait.

— Vas-y, lui dit Bowen. Il vaut mieux que tu sois là à son réveil.

Lachlain acquiesça en se levant.

— Je préfère être là avant son réveil. Ma promise aime dormir par terre, mais j’y ai mis le holà. Je ne veux pas…

— Espèce de salope de mes deux ! hurla alors une femme, dans la galerie du rez-de-chaussée.

Morsure Secrète
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